De nouvelles fourmis invasives : Tapinoma magnum et T. darioi
Alain Lenoir, mis à jour 23-Avr-2024
Tapinoma nigerrimum s.l. de la région méditerranéenne peut faire des supercolonies. Elle peut être nuisible pour les agriculteurs, les maraîchers bio sous serres. Chez les particuliers elle va proliférer avec le cocktail chaleur estivale et arrosage goutte à goutte sur des plantes, un régal pour les nids superficiels. Selon Claude Lebas (mail 4 novembre 2017) elle peut spontanément régresser : "En Corse sur Cargèse j'avais vu il y a 6 ans plein de Tapinoma donc magnum dans un parking, la prairie limitrophe, très impressionnant. Plus rien cette année. Et pas grand chose sur les alentours. Linepithema proche mais relativement discrète. Davantage de Messor qui a (re)pris la place." Pourtant, selon Luc Passera de passage près de Corte en novembre 2017 "ces bestioles empoisonnent les insulaires. Les potagers des particuliers sont anéantis et des maraîchers en arrivent à envisager de mettre la clé sous la porte. Au centre de l'île à 750 m d’altitude le moindre coup de bêche dans un jardin met au jour des centaines/milliers de Tapinoma sp. Impressionnant." (mail 24 novembre 2017). On attribue souvent les dégâts à la fourmi d'Argentine, mais ce sont des Tapinoma.
En fait cette fourmi fait partie d'une super-espèce Tapinoma nigerrimum s.l. comprenant 4 espèces très difficiles à distinguer pour un non-spécialiste (Seifert et al 2017 : T. nigerrimum, T. darioi, T. magnum et T. ibericum ; voir plus sur wikipedia). L’une d’entre elle est T. magnum de la région méditerranéenne de Narbonne à Montpellier, en Corse et en Afrique du Nord avec un fort polymorphisme. Elle est signalée comme invasive en Allemagne, Belgique et Pays-Bas (Dekoninck et al 2015). Cette espèce est bien adaptée à survivre dans des régions froides.
T.
magnum en Suisse
On vient de la signaler dans le canton de Vaud près de Lausanne où
le cimetière de la ville de Cully est infestée par des "milliards
de fourmis", avec une colonie de 2,5 hectares dans une zone de maisons
séparées où elle monte jusqu'au deuxième étage
et comprenant une église, un cimetière, un parking et des vignobles.
(Collet 2018, et de nombreux articles sur les journaux suisses - voir la situation
Freitag et Cherix 2019,
Elles restent actives jusqu'à 6-7°C, ce qui est surprenant (Cuentet
et al 2022).
En Suisse elle semble poser vraiment des problèmes et il y a un programme
d'action contre la fourmi en utilisant du méthoprène, considéré
comme peu toxique mais hélas sans doute avec des problèmes surtout
sur la faune aquatique (Voir La Municipalité 2018 et un diaporama
de Daniel Cherix). Des essais sont en cours avec du spinosad (Cuentet et al
2022).
Cleo
Bertelsmeier, professeure à Lausanne, vient même de trouver
déjà une quatrième colonie (Araman 2018) et va les étudier
sur le plan génétique (Baumann 2018). L'infestation semble se
propager vite, jusqu'à Zurich (Cherix 2021).
On a lutté contre Tapinoma magnum à
Zurich avec de la perméthrine sur 11 maisons en 2019, avec succès
vérifié en 2020. Le traitement a été réalisé
par une entreprise spécialisée. L'article a été
écrit par les responsables santé et environnement de la ville
de Zurich (Schmidt et al 2022). Hélas
la perméthrine est dangereuse. Et selon Daniel Cherix il y a eu des échecs
"D'une manière générale on peut dire que pour
le canton de Vaud la moitié des colonies augmentent leur surface. On
vient en plus de trouver une colonie, la première dans le canton du Valais
à Sierre! Le problème vient de la part des désinfestateurs
qui ne savent pas reconnaître une Lasius d'une Tapinoma."
(mail du 4 nov 2022). Le bilan de la lutte contre cette espèce vient
d'être présenté par Cuendet et al (2022)
avec des insecticides (cyperméthrine, chlorfénapyr, fipronil,
borax et spinosad) ou de la poudre de diatomées. Au bout de deux ans
ils ont réussi à stopper à Cully la propagation et limiter
l'expansion des colonies, mais il faut traiter tous les mois. En 2020-21 ils
ont traité avec du spinosad avec un certain succès comme par exemple
plus d'infestations dans les maisons mais pas d'éradication totale. T.
magnum est maintenant signalée dans plus de 20 sites en Suisse.
T. darioi est aussi invasive, sans doute souvent confondue avec T. magnum. Pour sa thèse, Julia Centanni a échantillonné avec un aspirateur plus de 900 sites dans la région de Montpellier. Les fourmis ont été identifiées avec des microsatellites. C'est Tapinoma darioi qui se trouve le plus souvent dans les zones urbanisées (8% des sites) alors que T. nigerrimum (s.str.) reste dans les zones naturelles non urbanisées et loin de la mer (22% des sites). T. magnum est peu présente dans ces zones (0,65% des sites), elle est beaucoup plus présente en bord de mer. T. magnum et T. darioi forment des supercolonies. T. ibericum et T. madeirense sont aussi trouvées (0,10%, soit 1 site et 9,8% des sites respectivement). 60% des sites n'ont pas de Tapinoma. Voir aussi l'interview dans Myrmecological News du 9 février 2022 avec de belles photos.
Mail d'un habitant d'Agen
(7 avril 2021) : à propos d'une "infestation de fourmis à
mon domicile. Celles-ci sont de petites fourmis noires très résistantes
qui dégagent une odeur très forte lorsqu'on en écrase une
entre ses doigts. Elles sont sorties au niveau d'un de mes radiateurs et depuis
ont percé des sorties à travers les joints de mes plintes, près
d'un autre radiateur et derrière une de mes prises éléctriques
(l'ensemble étant sur le même mur). Elles ont résisté
à la plupart des traitements que j'ai pu utiliser. J'ai même fait
appel à un professionnel et si le produit qu'il a passé sur mes
plintes les tuent lorsqu'elles sortent, elles n'abandonnent pas pour autant.
Je vous contacte car j'ai découvert dans ma rue de très nombreuses
foumilières de fourmis du même type qui semblent former une ligne
plus ou moins continue. Face à ces constatations, j'ai fait des recherches
et je suis tombé sur un article concernant les Tapinoma magnum
qui citait votre nom. C'est pourquoi je vous envoie ce mail. Pourrait-il s'agir
de Tapinoma magnum? Dans ce cas, que faire? Si comme vous le dites
dans l'article il est presque impossible de s'en débarrasser tout à
fait à cause du nombre de reines est-ce que je peux faire quelque chose
pour qu'elles évitent de rentrer dans ma maison? "
La suite le 14 avril 2021 : "L'infestation est très étendue.
J'ai fait se déplacer les services de la ville dans mon quartier cet
après-midi pour vérifier cela justement... La plupart du temps
avec des fourmilières au niveau des portails des habitations mais il
y a d'autres infestations à l'intérieur des maisons comme nous
avons pu le constater en discutant avec les voisins. Je dirais que la "super-foumilière"
(si c'est bien le terme exact je ne sais pas) s'étend sur au moins 500
mètres de ce que nous avons pu voir." J'ai pu vérifier
par chromatographie en phase gazeuse qu'il s'agit bien de T. magnum.
Et c'est nouveau mais des personnes de la côte méditerranéenne découvrent que les Tapinoma deviennent nocives aussi dans ces régions où elles sont pourtant natives, comme en Corse ou à Montpellier : "Je travaille à l’Ecolothèque de St Jean de Védas, structure de la métropole de Montpellier. C’est une ferme pédagogique, une médiathèque et un centre de loisir qui s’étend sur 4 hectares. Nous cultivons en agroécologie et avons des animaux. Une colonie de tapinomia se répand à toute allure, couvrant plus de la moitié du domaine. Elles sentent le beurre rance quand on les écrase et sont très agressives. Nous ne pouvons plus cultiver certaines zones, elles percent tomates et fruits, il en sort de partout quand on les cueuille. Pour l’instant on constate leur progression, car la philosophie de l’endroit interdit d’utiliser la chimie lourde ! Connaissez-vous un moyen bio autre que la terre de diatomée pour les contrôler? Cordialement, Patrice Reynard." (mail du 9 septembre 2021). En fait il s'agit dans ce cas de T. darioi selon Julia Centanni (mail du 29 septembre 2021).
Compétition
Linepithema / T. magnum
Christian
Foin me dit "avec Claude [Lebas]
nous avons vu un affrontement entre deux énormes colonies de Linepithema
et de Tapinoma. J’y aurais passé la journée à les
regarder. C’était une guerre de positions et une guerre chimique.
Deux armées d’une quinzaine de cm de large face à face avec
un no man’s land entre les deux." (Christian
Foin, mail
du 9 novembre 2019). En fait, les Tapinoma magnum semblent bien être
les seules fourmis capables de concurrencer les Linepithema (Chauvet
2018) mais c'est contesté selon Leonetti (et al 2019) qui ont fait des
tests d'agression en labo : T. magnum systématiquement est repoussée
et doit réduire sa surface d'activité..
Voir France3-Corse
du 30 mai 2020 qui cite ma page sur T. magnum (Sauthier 2020 -
voir texte
complet)
La répartition de T. magnum en Corse selon l’office de l’environnement de la Corse : en rouge les données anciennes avant 2006 et en jaune les données plus récentes. Attention, cela concerne toutes les données du groupe T. nigerrimum. En Corse un journaliste de Corse-Matin s'intéresse à différentes plaintes de communes, de jardiniers amateurs mais aussi d'agriculteurs qui ne peuvent plus exploiter leurs terres suite au développement de T. magnum (mail du 22 mars 2022).
Tapinoma "nigerrimum"
Des photos de Claude Lebas :
Comment reconnaître les Tapinoma ? C'est facile : il suffit d'en écraser une entre deux doigts et de la sentir, elle sent le beurre rance. Aucune autre fourmi n'a cette odeur. Dans le même habitat on trouve Tetramorium caespitum, la fourmi des trottoirs. Elle est à peu près de la même taille, mais plus claire, pas toute noire avec une tête carrée et ne fait pas de pistes. On trouve aussi Lasius niger, la fourmi noire des jardins qui est un peu plus grosse et fait des pistes mais moins embouteillées. Voir le guide des fourmis de France (Monnin et al 2013).
T. magnum sur le trottoir à Sauvagnon (64)
et sur le même trottoir après une pluie vidéo
Les T. magnum invasives chez moi s'étendent très vite, en mai 2020 elles ont colonisé un petit théatre près du centre. Les autres fourmis disparaissent. Cela sera intéressant de suivre l'évolution de cette super-colonie.
Le 30 mai il y avait un spectacle de chants en béarnais pas les enfants de l'école, mais la moitié des gradins étaient abandonnés car il y avait trop de fourmis...
Nous l’avons trouvé
en France dans le Sud-Ouest en deux endroits, à Bordeaux où elle
a été découverte en 2008 sur un parking de centre commercial
dans la banlieue de Bordeaux (Villenave d’Ornon) puis à Sauvagnon
(64230) en avril 2017, dans le centre du village où se développe
une super-colonie (Voir plus de détails Lenoir et Galkowski 2017,
puis dans Sud-Ouest 2018 qui reprend l'article du Bull de la soc linnéene
et La République des Pyrénées,
Liesenboghs 2018).
Ces fourmis Tapinoma sont actives très tard dans la saison,
je les ai vues faire des pistes à Sauvagnon le 27 novembre 2018 alors
que toutes les autres fourmis étaient inactives. Elles commencent aussi
à rentrer dans les maisons, j'en ai vu dans La maison pour tous
(salle communale près de la mairie) le 16 janvier 2019, mais elles passaient
inaperçues.
On en trouvera probablement d’autres dans les agglomérations du
sud-ouest. On les signale à Boudou (82200) en 2015 (espèce à
vérifier). J'en ai reçues d'Arcachon en janvier 2020 et j'en ai
même trouvé à Jaca (SP) en janvier 2020. Elles semblent
se répandre rapidement, on les trouve à Agen, et puis au printemps
2021 plus au nord à Saumur (Voir T.
magnum Saumur)
et à l'est à Bourg-en-Bresse. La dernière localisation
est à Molières (82) : "Je suis envahi, depuis deux ans,
par des milliards de fourmis Topinoma Magum ,elles commencent à envahir
les propriétés voisines et s’étendent sur des centaines
de mètres." (mail du 13 juillet 2021). Identification à
vérifier.
L'invasion semble progresser très vite dans la vallée de la Loire,
"on la signale déjà dans la région de la Baule,
Batz sur mer est également touchée, a priori avec les mêmes
modes d'invasion qu'à Saumur et tout dernièrement la ville d'Ancenis
vient de nous contacter." (mail Loïc Bidault 22 août 2021)
et à Saint-Germain-sur-Moine
: "je pense que la fourmi topinoma magnum est présente sur ma
commune de st Germain sur Moine. Voila depuis 3 ans que leur nombre croit d
année en année. Apres plusieurs plaintes auprès de la mairie,
nous avons lancé une pétition l'année dernière en
récoltant environ une 20aine de signatures (liste qui était non
exhaustive n'ayant vu tous nos voisins). Retour de la mairie > la fourmi
commune n est pas un insecte nuisible. Suite à l'article sur Saumur,
nous voulons réitérer notre demande. Notre demande concerne un
soutien financier pour l'éradiquer. Mais pouvons nous vraiment ? Comme
beaucoup de témoignages : destructions des potagers/ arbres/ morsures
super colonnie, jointures de beton... Nous avons tous dépensé
beaucoup d'argent." (mail du 8 août 2021 d'un habitant).
Voir Lenoir et al 2022 (Pdf)
Tapinoma magnum à la une de l'actualité. Elle se répand un peu partout en France
- à Tours "Tours : un quartier envahi par la Tapinoma magnum, une fourmi très agressive" La Nouvelle République, 3 mars 2024. Lien
"Tapinoma magnum, ces petites fourmis envahissantes" France Inter, Camille passe au vert, 21 avril 2024. Podcast
- à Hourtin près de Bordeaux (Lien) Ouest France, 10 avril 2024.
- à Albi "«Un quartier de l'est d'Albi à nouveau envahi par des fourmis agressives" Lien (et de nombreux autres sites)
En
Bretagne
on se pose des questions, par exemple dans Le Télégramme "avec
interview de Jean-Luc Mercier et citation du site web de votre serviteur "«Oui,
il faudra surveiller la Bretagne. Tapinoma pourrait y trouver les conditions
ensoleillées et chaudes qu’elle recherche dans les serres de maraîchers,
les jardineries ou les chauffages urbains », émet Jean-Luc Mercier,
enseignant chercheur." (Cudennec-Riou 2022).
Les
fourmis invasives repérées en Bretagne.
Le
telegramme 27 juin 2022.
"voici qu’elles ont franchi le Rubicon breton pour apparaître
en périphérie de Rennes. Clément Gouraud, membre bénévole
du Gretia (Groupe d’étude des invertébrés armoricains)
spécialiste des fourmis, a pu les observer à deux reprises - probablement
la face émergée de l’iceberg, estime-t-il.
Le premier
repérage a eu lieu dans une jardinerie de Betton (35). « Le nid
était logé dans la motte racinaire d’un olivier centenaire
», relate-t-il. Le second foyer détecté provenait d’un
parterre fleuri situé en face du centre commercial Grand Quartier, à
Saint-Grégoire (35). « Il a depuis disparu ».
Pour Clément Gouraud, il n’est pas impossible que Tapinoma magnum
se soit aventurée en Bretagne depuis une dizaine d’années
sans qu’on s’en soit rendu compte. « Simplement, on ne l’y
cherchait pas ». Ses facultés d’acclimatation ne font guère
de doute. Sa présence avérée à La Baule et Batz-sur-Mer
(Loire-Atlantique) suffit à montrer que les embruns ne lui déplaisent
pas.
Rappelons que, si elle ne paye pas de mine, cette fourmi noire voyageuse peut
vite devenir une hôte indésirable des plus collantes. Parce qu’elle
s’étale sans vergogne, formant des colonies géantes couvrant
plusieurs hectares. Qu’elle s’attaque aux cultures, réduisant
à néant serres maraîchères et arbres fruitiers. Qu’elle
éradique les insectes auxiliaires des potagers, aussi bien que les autres
espèces de fourmis. Qu’elle s’infiltre dans les maisons dont
on peine à la déloger, et pour cause : Tapinoma magnum - tel n’est
pas le moindre de ses défauts - résiste à tous les traitements.
« C’est par les végétaux qu’elle parvient à
voyager, notamment les oliviers centenaires excavés d’Italie ou
d’Espagne, dont les racines peuvent renfermer plusieurs reines et des
centaines d’ouvrières : suffisant pour essaimer et donner naissance
à une nouvelle colonie », indique Jean-Luc Mercier, enseignant
chercheur à l’Institut de Recherche sur la Biologie de l’Insecte
(Irbi), à Tours. Elle peut aussi se mêler à un convoi de
marchandises, ou se planquer dans un camping-car en vadrouille, façon
madame-sans-gêne.
Que faire pour éviter qu’elle ne débarque chez vous ? «
Il faut éviter tout goutte-à-goutte qui humidifie la terre régulièrement,
les rigoles d’eau qui suintent le long des murs », préconise
Jean-Luc Mercier. Et pour limiter l’infestation ? « Appeler une
entreprise spécialisée car les insecticides classiques sont inefficaces
contre Tapinoma magnum. Et, surtout, remettre de la biodiversité dans
votre potager. Éviter les jardins tirés à quatre épingles,
accepter les zones de friche où coccinelles, araignées et autres
espèces de fourmi peuvent prospérer », souligne l’entomologiste.
« Éradiquer Tapinoma est illusoire », renchérit Clément
Gouraud, suggérant qu’on ne connaît pas sa place dans l’écosystème
: « Rien ne dit qu’avec le réchauffement climatique, elle
ne sera pas intéressante quand nos espèces locales auront régressé
»
En Corse "Depuis quatre ans, Tapinoma magnum, fourmi invasive, fait un carnage dans les potagers mais aussi les cultures, pénétrant jusque dans les maisons. Résistante, vivant en méga colonies, elle prend petit à petit la place des autres espèces. Les scientifiques n'ont pas encore de réponse." "« C'est un enfer, témoigne Line Mei, de la Ferme de Dondon, élevage de chèvres, de poules, à Biguglia. Notre terrain est infesté ! On ne s'est pas rendu compte du moment exact quand cela a démarré mais aujourd'hui c'est une fourmi impossible à contenir, à détruire. Dans notre maison, il y en a aussi, elles sortent par les plinthes, les prises électriques, c'est terrible ! Mon mari a piqué une crise, il les a passées au chalumeau. »" Au parc, fin 2019, nous avons organisé une conférence sur les fourmis avec deux myrmécologues de renom, Audrey Dussutour et Antoine Wystrach. C'est l'une des conférences où il y a eu le plus de monde, peut-être 1 000 personnes. Pendant une heure et demie, les deux spécialistes expliquaient l'intelligence des fourmis, leur vie en société. À la fin, quand il a fallu poser des questions, une dizaine de mains s'est levée pour demander, ''comment on s'en débarrasse ?''. Cela illustre la réelle angoisse de très nombreux insulaires. Dont des anciens qui avouent abandonner le jardin après soixante ans de tomates ou de courgettes ! » " "Cyril Berquier, entomologiste de l'Observatoire Corse Conservatoire des Invertébrés de Corse, est formel : l'utilisation anarchique des produits anti-fourmis vendus dans le commerce ne fait qu'aggraver la situation. Les produits, s'ils freinent un temps Tapinoma magnum, se révèlent également destructeurs pour les autres espèces de fourmis locales et laissent alors une place encore plus grande pour la fourmi invasive. En clair, la Tapinoma résiste mieux et va profiter de la disparition de ses consœurs pour coloniser encore plus rapidement les espaces laissés vacants. Cyril Berquier est également critique sur l'utilisation de la terre de Diatomée - qui selon certains n'a de toute façon guère d'efficacité : cette poudre très fine s'attaque uniformément à tous les insectes et invertébrés. Elle ne se biodégrade pas naturellement et menace donc durablement la biodiversité. Cette poudre peut même se révéler dangereuse par exemple pour les poumons des chiens qui se mettraient à flairer au-dessus de la fourmilière..." (Laurent 2022).
En Espagne du nord, on en trouve à Saragosse (juin 2021) (vidéo), à Jaca elles font déjà des solariums le 27 février 2022 :
Super-colonies ?
J'ai aussi fait des tests d'agressivité entre diverses colonies. Ces fourmis sont en effet très agressives envers d'autres espèces, ce qui explique sans doute leur succès. Elles forment d'immenses colonies comme toutes les invasives. Il y a sans doute au moins deux origines différentes puisque celles de Bordeaux et celles de Sauvagnon s'agressent, il en est de même entre Saumur et Sauvagnon. Voir tests d'agression.
Compétition
T. magnum / Lasius niger
Jérôme
Gippet, au labo de Cleo
Bertelsmeier à Lausanne, a étudié la compétition
entre la fourmi invasive Tapinoma magnum et la fourmi locale Lasius
niger (Gippet et al 2021). Comme attendu, les sites envahis ont moins d'espèces
et moins d'abondance relative. Mais L. niger fourrage moins à
de fortes densités sur le côté est des immeubles, par contre
elle fourrage plus sur le côté ouest. Il y aurait une sorte de
coexistence entre les deux espèces liée à l'hétérogénéité
des conditions micro-environnementales. Tout n'est peut-être pas perdu
dans la lutte entre invasives et locales.. Pourtant, cela n'est peut-être
pas valide partout.. dans mon village, je n'ai pas étudié sérieusement
la compétition niger / magnum mais l'augmentation de la super-colonie
de magnum s'accompagne de la disparion des niger. J'espère
que c'est provisoire...
Peut-on
s’en débarrasser ?
En Corse
T. magnum semble envahir toute l'île. Par exemple cette personne
"Bonjour Monsieur. J’habite sur la rive sud du golfe d’Ajaccio
en Corse, et tout mon environnement quotidien est envahi par ces colonies. Je
ne peut plus garer ma voiture sur mon allée, tondre ma pelouse, étendre
mon linge. Plusieurs de mes arbre fruitiers sont envahis et meurent. Elles détruisent
mon potager. À la moindre vibration d’un pas, on se fait attaquer.
Les compteurs électriques, les containers à poubelle sont envahis.
La municipalité n’a rien de prévu ! Comment faire pour m’en
débarrasser ? J’ai dépensé des centaines d’euros
en poudres, liquides, bombes insecticides." (mail du 18 mai 2020).
Et plus tard "Bonsoir....je suis en corse, la tapinoma y est active
actuellement 12 mois par an non stop...très invasive, voir inquiétante,
j'habite une maison ancienne dans le sud de Bastia, celle-ci en est envahie,....c'est
très stressant, je n'emploie que de la Diatomée en extérieur
...avez-vous une solution qui soit la moins polluante possible ...? j'ai remarqué
d'autre part la disparition des guêpes de mes toits en lauze, il en est
de même pour les escargots, les limaces ...les lézards..!...et
les fourmis autre que tapinoma..il semblerait que tout insecte disparaisse .....avec
leur présence....." (mail du 2 février 2021) "
.
En Corse un journaliste de Corse-Matin s'intéresse à différentes
plaintes de communes, de jardiniers amateurs mais aussi d'agriculteurs qui ne
peuvent plus exploiter leurs terres suite au développement de T.
magnum (mail du 22 mars 2022).
"Comment faire pour m’en débarrasser ?", s’inquiète l’habitante d’Ajaccio qui a contacté le spécialiste des fourmis Alain Lenoir. "J’ai dépensé des centaines d’euros en poudres, liquides, bombes insecticides." Les Tapinoma ont résisté. "La plupart des gens aggravent le problème, explique Cyril Berquier, entomologiste à l’Office de l’environnement de la Corse. Souvent ils mettent des produits qui détruisent les fourmis locales qui étaient encore là. Ils vont tuer quelques tapinoma mais l’année d’après ils en auront deux fois plus." Tapinoma magnum se développe sur des milieux dits "dégradés" : avec une faible biodiversité. C’est en cela que les insecticides peuvent étendre son empire et asseoir sa suprématie sur les autres types d’insectes. "Il faut avoir une gestion plus équilibrée des jardins, poursuit le spécialiste des insectes. Si vous avez vraiment un gros problème de Tapinoma, il faut peut-être traiter de manière plus localisée, repérer où sont les fourmilières -souvent en bordure du béton- et traiter uniquement cette zone pour ne pas attaquer les autres fourmis. Si vous tondez votre pelouse à ras, tout le temps, vous diminuez aussi la diversité des fourmis et vous favorisez la Tapinoma, vous favorisez la sécheresse qui elle-même entretient son développement." Pour lui, la bataille contre Tapinoma Magnum est perdue d’avance, ce qui ne signifie pas qu’il faut abandonner : "On ne reviendra plus à la situation d’avant. Mais on peut arriver à plus d’équilibre." (Sauthier 2020).
En Europe diverses tentatives d’éradication ont été entreprises comme à Ostende contre la Tapinoma magnum invasive, avec un insecticide, le 10CS (Lambda-cyalothrine, pyréthrinoïdes - hélas très toxique pour les animaux aquatiques) encapsulé. Cela a été apparemment efficace, mais il faut voir sur le long terme car il suffit de quelques reines en profondeur pour que l'invasion reparte.
Pour en savoir plus sur les fourmis invasives
Voir
- Araman, T. (2018) La grande invasion des fourmis exotiques. migromagazine.ch,
8 juin 2018, p. https://www.migrosmagazine.ch/des-fourmis-a-l-assaut-de-la-suisse-romande.
Pdf
- Baumann, P. (2018) Les fourmis, ces envahisseuses. http://www.illustre.ch,
9 juillet 2018, p. http://www.illustre.ch/magazine/fourmis-envahisseuses. Pdf
- Centanni, J., B. Kaufmann, R. Blatrix, O. Blight, A. Dumet, P. Jay-Robert
and A. Vergnes (2022). High resolution mapping in Southern France reveals that
distributions of supercolonial and monodomous species in the Tapinoma nigerrimum
complex (Hymenoptera: Formicidae) are related to sensitivity to urbanization.
Myrmecological News: 41-50. doi: 10.25849/myrmecol.news_032:041.
Lien
- Collet, C. (2018). Sueurs froides à Cully, infestée par des
milliards de fourmis. 24 heures Jeudi 15 février 2018. Pdf
-
Cudennec-Rio, V. (2022) Quelle est cette super-fourmi qui pourrait en pincer
pour la Bretagne ? letelegramme.fr
9 mai 2022
- Dekoninck, W., T. Parmentier
and B. Seifert (2015). First records of a supercolonial species of the Tapinoma
nigerrimum complex in Belgium (Hymenoptera: Formicidae). Bulletin SRBE KBVE
151: n3, 9p.
- Cherix, D. (2021) Une espèce de fourmis invasives. www.CercleExotique.ch,
p.2, 02/2021. Pdf
- Cuendet,
G., A. Freitag and D. Cherix (2022). The invasive ant,
Tapinoma magnum in Western Switzerland. Proc. Tenth Internat. Conf.
Urban Pests, Santa Andria de Besos, Barcelone, p.128-131. Pdf
- Freitag,
A. and D. Cherix (2019). Tapinoma magnum Mayr, 1861, une nouvelle espèce
de fourmi introduite en Suisse (Hymenoptera, Formicidae). ENTOMO HELVETICA 12:
99-110. Pdf
-
Gippet, J. M. W., L. George and C. Bertelsmeier (2021). Local coexistence of
native and invasive ant species is associated with micro-spatial shifts in foraging
activity. Biological Invasions. doi: 10.1007/s10530-021-02678-2
- La municipalité (2018). Programme d’action contre la fourmi Tapinoma
magnum. La feuille de Bourg-en-Lavaux n° 4. Pdf
- Laurent,
C. (2022) Tapinoma magnum : l'ennemie publique en Corse. corsematin.com
10 mai 202
- Liesenboghs, E. (2018). L'invasion des fourmis tapinoma à Sauvagnon
et Caubios-Loos. . La République des Pyrénées 12 juin 2018.
http://www.larepubliquedespyrenees.fr/2018/06/12/les-fourmis-tapinoma-sont-arrivees-en-bearn-faut-il-en-avoir-peur,2362586.php.
Pdf
- Lenoir, A. and C. Galkowski (2017). Sur la présence d’une fourmi
envahissante (Tapinoma magnum) dans le Sud-Ouest de la France. Bull.
Soc. Linn. Bordeaux 152 (NS): 449-453. Pdf
Voir plus de détails sur les tests d'agression.
- Lenoir, A. and C. Galkowski (2018) Tapinoma : une nouvelle fourmi envahissante
arrive dans le Sud-Ouest sudouest.fr, 5 juin 2018, p. https://www.sudouest.fr/2018/06/05/tapinoma-une-nouvelle-fourmi-envahissante-arrive-dans-le-sud-ouest-5118134-10275.php.
Pdf (c'est une copie de
l'article du Bull Soc Linn Bordeaux)
-
Lenoir, A., J.-L. Mercier, E. Perdereau, L. Berville and C. Galkowski (2022).
Sur l’expansion des fourmis envahissantes du genre Tapinoma en France
(Hymenoptera : Formicidae). Osmia Sous presse. Pdf
-
Leonetti, D., M. Centorame and A. Fanfani (2019). Differences in exploitation
and interference ability between two dominant ants: the invasive Argentine ant
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